L’illusion du contrôle
Les données sont la monnaie de l’ère numérique, et les entreprises les traitent comme des chercheurs d’or lors de la Ruée vers l'or, les extrayant sans relâche, souvent sous couvert de légalité. Si le RGPD (Règlement général sur la protection des données) de l’Europe a été salué comme une victoire historique pour la vie privée, son application reste un jeu du chat et de la souris. Des entreprises comme Microsoft, Google et les géants des réseaux sociaux ont perfectionné l’art de « l’exploitation conforme », exploitant des failles, des dark patterns (designs trompeurs) et des ambiguïtés juridictionnelles pour collecter et monétiser les données. Pendant ce temps, les changements politiques aux États-Unis et l’émergence de plateformes de « liberté d’expression » non régulées révèlent que les données ne sont pas simplement un outil de profit, ce sont aussi des armes d’influence. Le pire ? Éviter ces entreprises est quasi impossible dans une société construite sur leur infrastructure. Mais nous pouvons encore résister.
RGPD : Un bouclier truffé de failles
Le RGPD impose la transparence, le consentement et le contrôle des utilisateurs sur leurs données. Pourtant, les entreprises contournent ces principes via :
Les Dark Patterns : Des interfaces trompeuses qui poussent les utilisateurs à accepter des conditions intrusives (ex. : la création de compte Microsoft, où refuser le partage de données exige de naviguer dans un labyrinthe de menus).
Le consentement vague : Des autorisations groupées dans des accords flous et sans nuances (typique des politiques « accepter ou quitter » de Google et Facebook).
L’arbitrage juridictionnel : Stocker les données de l’UE sur des serveurs hors UE pour diluer les responsabilités, une tactique de plus en plus critiquée, mais toujours répandue.
Résultat : Les utilisateurs cèdent leurs données à leur insu, puis subissent des spams de tiers obscurs, courtiers en données, publicitaires ou pire. Exemple : Créez un compte Microsoft, abandonnez-le, et observez les spams inonder votre boîte mail depuis des entreprises inconnues. Ce n’est pas de la négligence, c’est un modèle économique.
Microsoft : Le loup qui garde les données de santé européennes
La domination de Microsoft dans les logiciels professionnels (Teams, Office 365) et les contrats publics est alarmante :
Teams, piège à données : Chaque réunion, partage de fichier ou discussion sur Teams alimente l’écosystème Microsoft. Même les comptes inactifs génèrent des métadonnées utilisées pour le profilage.
L’hypocrisie de l’hébergement santé : Malgré des antécédents de failles de sécurité (ex. : le piratage d’Exchange Server en 2021, les vulnérabilités chroniques de Windows), Microsoft est désormais le partenaire de l’UE pour l’hébergement de données de santé sensibles. L’ironie ? Une entreprise critiquée pour sa cybersécurité défaillante est chargée de protéger les informations les plus privées des citoyens. Rappelons que Microsoft, à l'instar de Google et de Meta, est une société qui a été condamnée par la CNIL… Mais miraculeusement, elle fut totalement dédouanée en 2023 après avoir "cédé" aux exigences de la commission.
Le déluge de spams : Créez un compte Microsoft, abandonnez-le, et les spams arrivent avant même que vous n’utilisiez le service, preuve que les données sont partagées ou fuient dès l’inscription. Pourquoi est-ce grave ? Parce que le monopole de Microsoft dans les contrats publics (santé, éducation) oblige les citoyens à lui confier leurs données. Résister devient impossible face aux décisions qui sont politiques.
Les marionnettistes politiques : Zuckerberg, Musk et la « liberté d’exploiter »
Les récentes élections américaines ont révélé le pouvoir politique de la tech, et ses conséquences :
Le pacte faustien de Zuckerberg : Le revirement soudain de Facebook pour apaiser Trump en 2020 a montré comment les plateformes manipulent leurs politiques pour protéger leurs revenus, pas la démocratie.
X (Twitter) de Musk : Liberté d’expression ou anarchie ? En supprimant la modération, X est devenu un enfer infesté de bots. La « liberté d’expression » signifie désormais désinformation et discours haineux non contrôlés, amplifiés par des algorithmes avides de données.
Bots, espions et vous : Des milliers de bots scrutent des plateformes comme X et Facebook pour profiler les utilisateurs. Critiquez un politicien ? Attendez-vous à être ciblé par de la propagande sur mesure.
Conclusion : Les plateformes qui prétendent défendre la « liberté d’expression » permettent en réalité le capitalisme de surveillance. Vos données ne sont pas juste vendues, elles ont littéralement militarisées.
Le piège du désespoir : « Quittez la Big Tech » n’est pas une solution
L’appel militant à « supprimer ses comptes » sonne comme une libération, mais il se heurte à une réalité implacable : notre dépendance aux géants technologiques est systémique, non choisie. Au travail, l’obligation d’utiliser Teams ou Google Workspace transforme ces outils en chaînes numériques, refuser, c’est menacer son intégrité professionnelle. Dans la sphère privée, WhatsApp et Instagram sont les places publiques modernes : s’en exclure revient à se couper des cercles familiaux et amicaux, une forme d’exil social. Pire, les États eux-mêmes légitiment cette emprise en confiant des données sensibles, comme les dossiers de santé, à Microsoft, malgré ses failles répétées. Cette triple captivité, professionnelle, affective, institutionnelle, n’est pas un accident : c’est un piège savamment tissé par des entreprises qui prospèrent sur notre impuissance. Plutôt que culpabiliser les individus, il s’agit de reconnaître l’ampleur du système et d’agir là où la marge de manœuvre existe : réduire l’exposition, contourner les mécanismes de surveillance, et refuser de se soumettre à la fatalité.
5. Se défendre : Atténuer plutôt que martyriser
Étape 1 : Isoler les outils corporatifs
Compartimentez : Utilisez Microsoft/Google uniquement pour le travail. Créez des comptes jetables avec des faux noms.
Navigation isolée : Accédez aux plateformes via des navigateurs privés (Brave, Firefox) en mode « navigation privée permanente ».
Bloquez la télémétrie : Utilisez uBlock Origin pour empêcher Microsoft/Google de vous pister.
Étape 2 : Adoptez des alternatives
Recherche : DuckDuckGo (sans pistage), Startpage (résultats Google sans Google).
Email : ProtonMail (chiffré), Tutanota (conforme au RGPD).
Réseaux sociaux : Mastodon (décentralisé), Signal (messagerie chiffrée).
Étape 3 : Utilisez le RGPD comme arme
Demandes d’accès : Obligez les entreprises à révéler les données collectées (modèle RGPD).
Demandez la suppression : Exigez l’effacement des comptes et sauvegardes. Relancez, les entreprises « oublient » souvent.
Signalez les violations : Portez plainte auprès de régulateurs comme la CNIL, en France.
Étape 4 : Mesures radicales (si possible)
Téléphone basique : Passez à un téléphone sans internet.
Logiciels libres : Utilisez des OS axés sur la vie privée (/e/OS, LineageOS).
Cash : Évitez les paiements numériques liés à votre identité.
Le combat ultime : Changer le système
L’illusion d’un capitalisme de surveillance « réformable » s’effrite face à l’urgence systémique. Première priorité : briser l’hégémonie des oligopoles. En 2023, Microsoft détenait encore 72 % des parts de marché des logiciels professionnels dans l’UE – un chiffre vertigineux qui explique son influence sur les appels d’offres publics, dénoncée par le rapport *Tech Dominance and Public Procurement* (Transparency International, 2022). Pour inverser la tendance, des États pionniers comme l’Allemagne misent sur l’open source : leur *Sovereign Tech Fund*, doté de 32 millions d’euros, finance des alternatives libres (Nextcloud, Matrix) visant à réduire la dépendance aux géants. Deuxième front : une régulation réellement globale.
Le scandale Cambridge Analytica l’a prouvé : les données ignorent les frontières. L’entrée en vigueur du *Digital Services Act* européen en 2024, couplée à des traités comme le *Paris Call for Trust and Security in Cyberspace* (signé par 80 pays), pourrait enfin imposer des sanctions extraterritoriales contre les marchands de désinformation. Enfin, responsabiliser les plateformes : à l’image du *Online Safety Act* britannique, qui pénalise financièrement les réseaux ne luttant pas contre les discours haineux, les législateurs doivent transformer le « principe de précaution » en obligation légale. Comme le résume Cory Doctorow, militant de l’Electronic Frontier Foundation : « Démanteler les monopoles n’est pas une option technique – c’est un impératif démocratique. »
Conclusion : La vie privée comme résistance
« Éviter Microsoft, Google ou Meta relève du privilège, pas du choix », résume un rapport de l’ONG Privacy International (2023), illustrant l’asymétrie criante entre utilisateurs et géants technologiques. Dans un monde où 84 % des administrations européennes dépendent de solutions Microsoft, selon un audit de la Cour des comptes européenne, la déconnexion totale est un mirage. Mais comme le souligne Shoshana Zuboff, théoricienne du capitalisme de surveillance, « la résistance ne naît pas de l’évasion, mais de la perturbation des mécanismes d’extraction ».
Cette perturbation prend plusieurs formes. D’abord, l’arme légale : le RGPD, malgré ses limites, a permis des avancées symboliques, comme l’amende de 1,2 milliard d’euros infligée à Meta en mai 2023 pour transferts illégaux de données vers les États-Unis. Ensuite, les alternatives éthiques gagnent du terrain : Signal, messagerie chiffrée, dépasse désormais 100 millions d’utilisateurs, tandis que le moteur de recherche DuckDuckGo frôle les 30 millions de requêtes quotidiennes. Enfin, le volet politique : l’adoption récente du Digital Markets Act en Europe, visant à limiter les monopoles, montre que le changement systémique est possible – à condition de voter pour des leaders qui osent affronter les lobbys tech.
La vie privée n’est pas une bataille individuelle, mais un front collectif. Comme l’écrivait le journaliste Glenn Greenwald dans No Place to Hide (2014), « chaque clic est un acte politique ». Choisir ProtonMail plutôt que Gmail, exiger la suppression de ses données via le RGPD, ou soutenir des projets souverains comme le cloud européen Gaia-X : autant de micro-résistances qui, cumulées, fissurent l’hégémonie des prédateurs de données. L’enjeu n’est pas de disparaître, mais de rendre l’exploitation si coûteuse qu’elle devienne intenable.