L’astroturfing high-tech sur X
Alors que l’Allemagne s’apprête à voter le 23 février, une ombre plane sur la campagne électorale : celle d’une armée de bots sophistiqués, alimentés par l’intelligence artificielle, qui inondent le réseau social X (anciennement Twitter) de messages pro-AfD. Derrière cette manipulation à grande échelle se cachent non seulement des acteurs locaux, mais aussi le soutien ambigu d’Elon Musk, propriétaire de la plateforme, dont les prises de position en faveur de l’extrême droite allemande brouillent les frontières entre liberté d’expression et ingérence politique.
Une campagne 2.0 : Des bots « made in AfD » plus puissants que les trolls russes
Les interférences russes de 2016 font figure d’archaïsme face à la sophistication des bots déployés par l’AfD. Ces comptes automatisés, capables de générer jusqu’à 1 000 messages par jour, utilisent l’IA pour imiter le langage humain, adapter leurs arguments en temps réel et cibler des électeurs vulnérables. Une étude du Bundesdatenschau révèle que les publications de l’AfD ont vu leur portée multipliée par 19 en deux semaines, atteignant 1 million de vues pour Alice Weidel lors d’un live organisé avec Musk le 9 janvier.
Elon Musk, propriétaire de X et proche de Donald Trump, a transformé la plateforme en mégaphone de l’extrême droite. En amplifiant les contenus pro-AfD via des algorithmes biaisés, X a permis au parti d’accroître sa visibilité de 1 800 % en 24 heures après un tweet de soutien du milliardaire. Ces manipulations s’inscrivent dans une stratégie plus large : Musk, nommé à la tête du Department of Government Efficiency par Trump, fusionne pouvoir politique et contrôle des réseaux pour servir des agendas nationalistes.
Elon Musk, pyromane et pompier d’une plateforme en feu
Le milliardaire joue un double jeu : tout en démantelant les équipes de modération de X, il offre une tribune mondiale à l’AfD. Lors d’un entretien en direct avec Alice Weidel, Musk a minimisé l’héritage nazi, déclarant que « les enfants ne devraient pas être coupables des péchés de leurs arrière-grands-parents ». Pire, il a qualifié l’AfD de « seul espoir pour l’Allemagne », normalisant un discours xénophobe et révisionniste.
Cette collusion entre Musk et l’extrême droite dépasse les frontières allemandes. En Grande-Bretagne, le milliardaire a amplifié des théories complotistes sur les « grooming gangs », propulsant des récits racistes au sommet de l’agenda médiatique grâce à des algorithmes sur mesure. Une enquête du Financial Times révèle que Musk a repartagé 225 messages en une semaine sur la politique britannique, interagissant principalement avec des influenceurs d’extrême droite.
Astroturfing 2.0 : Quand l’extrême droite s’offre une légitimité artificielle
L’astroturfing, cette technique visant à simuler un soutien populaire spontané, atteint un niveau inédit avec l’AfD. Des milliers de comptes bots partagent des vidéos deepfake, des articles falsifiés et des slogans comme « Multiculturalisme = chaos », infiltrant même des groupes WhatsApp locaux selon une enquête de Correctiv. Ces récits, combinés à une désinformation ciblée, ont contribué à normaliser des projets comme la « remigration » forcée de migrants, pourtant massivement rejetés en 2024.
La Commission européenne, impuissante face à cette manipulation, a tardé à réagir. Sous pression de la CDU, elle a reporté ses sanctions contre X jusqu’après les élections allemandes, craignant de renforcer l’AfD. Pendant ce temps, les algorithmes de X continuent de favoriser les contenus polarisants, réduisant la diversité des points de vue et amplifiant les messages radicaux.
La vérité est-elle encore « ailleurs » ?
La référence aux X-Files, « The truth is out there », sonne désormais comme un sarcasme. Sur X, la réalité se noie sous un torrent de désinformation : faux sites médias clonés, théories complotistes sur l’énergie nucléaire, ou attaques contre des figures pro-ukrainiennes via des deepfakes. Les initiatives humanitaires, elles, peinent à émerger. « A-t-on déjà vu des bots promouvoir l’aide aux réfugiés ? », interroge un analyste. La réponse est non.
Elon Musk, en privatisant la vérité, a fait de X une machine à fric au service des plus offrants. La monétisation des abonnés Premium et la priorité donnée aux contenus engageants (même mensongers) ont transformé la plateforme en un casino numérique où l’extrémisme rapporte davantage que les faits.
L’ère des balbutiements toxiques et le spectre de Meta
Cet abus technologique n’en est qu’à ses prémices. Twitter, jadis outil de viralité citoyenne, est devenu X : un réseau social dégueulasse, où la désinformation se monnaye et où les bots servent de mercenaires numériques à des politiciens sans scrupules. Les campagnes de l’AfD, boostées par l’IA, ne sont qu’un avant-goût d’un futur où chaque élection sera hackée par des armées de comptes automatisés.
La machine à fric de Musk prospère sur la colère et la polarisation, favorisant ceux qui misent sur l’argent facile et la monétisation à outrance. Les projets intrusifs – surveillance de masse, manipulation algorithmique, exploitation des données personnelles – se multiplient sous couvert de « transparence ». Pendant ce temps, l’UE tergiverse, paralysée par des calculs politiques et des menaces de procès. Mais imaginons un instant que Mark Zuckerberg, à l’instar de Musk, décide de transformer Meta en une arme létale de propagande politique. Que deviendrait notre monde si les réseaux sociaux les plus influents étaient tous submergés par des millions de bots contrôlés par des algorithmes frénétiques ? La pensée libre serait noyée sous un déluge de mensonges, les opinions manipulées à grande échelle, et la démocratie elle-même mise en péril… ou du moins, un peu plus qu'elle ne l'est déjà.
Références
Les sources citées dans cet article sont disponibles via les liens suivants :
- The 2025 German Elections: Party Politics & International Implications (Fiker Institute)
- How the far right is expanding its international network (DW)
- 2025 Bundestag elections, manifestos, parties, election campaign (Deutschland.de)
- As Germany braces for election, backing the far-right AfD no longer a taboo (Al Jazeera)
- Merkel, Musk and the far right: What is going on in Germany’s election (Politico)
- Putin’s bot army tries to swing German election (Politico)
- AfD remain on course for record result in YouGov’s second MRP model (YouGov)
- Thousands march in Germany as AfD launches election campaign (DW)