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Linkedin Royaume du Cringe

Linkedin, Royaume du cringe

LinkedIn, autrefois perçu comme un réseau professionnel sérieux, est devenu le théâtre d’un spectacle déroutant où le cringe règne en maître. Entre les posts larmoyants, les leçons de vie à l’emporte-pièce et les success stories dignes d’un scénario hollywoodien, la plateforme a muté en un espace où l’authenticité se noie sous un flot de contenus générés par l’IA et de bullshit à grande échelle. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Pourquoi LinkedIn est-il devenu le refuge des managers en mal de reconnaissance, des startuppers en quête de visibilité et des influenceurs professionnels qui n’influencent finalement personne ? Plongeons dans les méandres de cette dérive algorithmique et psychologique.

Pourquoi LinkedIn est-il devenu une zone de non-droit ?

Sur LinkedIn, la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle s’est estompée, créant une zone grise où tout semble permis. Les utilisateurs se sentent autorisés à partager des réflexions intimes, des conseils non sollicités ou des anecdotes sans lien avec leur expertise. Cette désinhibition s’explique par l’effet de distanciation de l’écran : impossible de voir les réactions immédiates, les regards gênés ou les moqueries. LinkedIn devient alors une scène où l’on joue un rôle, protégé par la validation virtuelle (likes, commentaires) qui justifie tout.

Ajoutez à cela l’algorithme, qui récompense les contenus émotionnels et provocateurs. Les posts viraux sont souvent ceux qui choquent ou émeuvent, peu importe leur pertinence. Résultat : une course à l’absurde, où la honte sociale est neutralisée par la dopamine des notifications.

LinkedIn : une vitrine de faux-semblants

La plateforme est désormais une galerie de portraits édulcorés. Les profils, ciselés pour afficher une réussite sans faille, masquent souvent des réalités moins glorieuses. Les plus visibles ne sont pas les plus compétents, mais ceux qui maîtrisent l’art du storytelling creux.

Cette illusion est amplifiée par l’IA : ChatGPT et autres outils génèrent des articles « inspirants », des analyses prétentieuses ou des posts formatés, sans effort intellectuel. Conséquence ? Une cacophonie de contenus vides, où les véritables experts sont étouffés par le bruit.

Le club des startuppers et managers en mal d’amour

Terrain de jeu des startuppers et managers en quête de légitimité, LinkedIn leur offre un exutoire pour se draper en « leaders visionnaires » ou « mentors éclairés ». Problème : cette quête de validation sacrifie l’authenticité au profit d’éloges mutuels et de partages complices.

L’algorithme renforce cette bulle en favorisant les interactions entre profils « influents », créant un cercle vicieux où les mêmes voix dominent. Une cour des miracles numérique, où l’on s’encense en ignorant l’inanité des discours.

La quête de validation : un mal-être moderne

Cette dérive reflète un malaise sociétal : dans un monde où les interactions humaines s’appauvrissent et la reconnaissance professionnelle se raréfie, LinkedIn devient un exutoire. Les posts larmoyants ou les success stories surjouées ne sont que des cris étouffés pour combler un vide.

Mais cette quête est un leurre : la validation par likes est éphémère, et l’image factice de soi ne rassasie jamais. Pire, elle nourrit un cycle de dépendance, où l’on en vient à croire à ses propres mensonges.

LinkedIn, miroir déformant de notre époque

La plateforme est le reflet d’une société obsédée par l’apparence, où le bullshit prospère grâce à des algorithmes assoiffés d’émotions. Pour y retrouver du sens, il faudrait privilégier l’authenticité aux postures. Mais dans un monde où l’image règne, cela ressemble à une utopie.

Instagram et LinkedIn ont ceci en commun : ce sont des machines à fabriquer du faux. Mais là où le premier maquille les corps, le second trafique les parcours. Sur Instagram, on ajoute des filtres pour effacer les cernes, élargir les sourires ou dorer les couchers de soleil. Sur LinkedIn, on applique une couche de mythomanie professionnelle : des histoires de licenciements « libérateurs », de burn-outs « transformateurs », ou de meetings en visio « révolutionnaires », racontées avec le sérieux d’un TED Talk. Deux réseaux, deux mensonges : l’un retouche les visages, l’autre réécrit les CV.

La différence tient à l’esthétique du mensonge. Instagram assume sa superficialité : personne ne croit qu’un ciel pastel ou un abdomen dessiné au contouring soient réels. LinkedIn, en revanche, déguise le fake en vertu. Ici, les posts ridicules – comme ceux moqués par Disruptive Humans of LinkedIn – se parent de termes sérieux : « résilience », « agilité », « leadership visionnaire ». Le réseau a inventé le filtre « success story », où un échec devient un « pivot », une chance rencontre devient un « destin », et une compétence Excel devient une « expertise stratégique ». Résultat : une compétition malsaine où chacun surjoue un rôle, comme si la vie professionnelle était un concours de Miss France version costard-cravate.

Sur les deux plateformes, les algorithmes récompensent la démesure. Instagram pousse à l’hyperesthésie (des corps parfaits, des voyages de rêve), LinkedIn à l’hypermérite (des carrières sans accroc, des insights géniaux). Mais le danger n’est pas le même. Les filtres d’Instagram créent des complexes physiques ; ceux de LinkedIn fabriquent des impostures intellectuelles. Le premier vous fait douter de votre apparence, le second de votre légitimité. Pire : sur LinkedIn, le mensonge est socialement valorisé. Postuler une fable sur vos « 10 années à disrupter l’industrie » ? C’est « se vendre ». Mentir sur un taux de croissance ? C’est « booster sa marque employeur ». La plateforme a normalisé une culture du bullshit où l’on applaudit ceux qui jouent le mieux la comédie de l’excellence.

Alors oui, les deux réseaux sont des théâtres. Mais là où Instagram distrait, LinkedIn corrompt. Car lorsque le fake se niche dans l’espace professionnel – censé incarner la rationalité et la compétence –, il ne ridiculise pas seulement ses utilisateurs : il sape la confiance dans toute une sphère sociale. Et si la course aux likes, qu’ils soient esthétiques ou carriéristes, n’était au fond qu’un aveu collectif ? Celui d’une époque qui préfère les filtres aux visages, et les storytelling aux parcours sincères.

Non, tout n’est pas si super génial

Réduire la complexité du monde professionnel à des posts lisses et des clichés épuise autant ceux qui jouent la comédie que leur audience. Personne ne veut évoluer dans une équipe de fakers, où LinkedIn ressemble à une mascarade permanente.

Pourtant, repenser la plateforme semble impossible : les algorithmes récompensent le formaté, pas le sincère. La solution ? Créer des espaces alternatifs valorisant la transparence, les parcours atypiques et la collaboration vraie.

Et si le vrai problème, c’était nous ?

Derrière ces posts grandiloquents et ces égos surdimensionnés se cache une vérité gênante : LinkedIn n’est qu’un miroir grossissant de nos insécurités. À force de vouloir exister à travers des likes et des félicitations virtuelles, ne sommes-nous pas en train de troquer notre crédibilité contre une illusion de succès ? Le pire, c’est que nous le savons. Nous voyons bien le ridicule de ces posts pompeux, de ces leçons de vie écrites par ChatGPT, de ces humble brag mal dissimulés… Mais comme des acteurs ivres de leur propre rôle, nous continuons. Parce qu’au fond, il est plus facile de jouer un personnage que d’affronter une réalité professionnelle souvent ingrate. Et si cette comédie permanente finissait par nous rendre aveugles à ce qui compte vraiment : des échanges justes, des idées brutes, et le courage d’être imparfait ?